Si l'on veut se faire une idée vive et exacte des jeunes bohèmes romantiques groupés autour de Hugo, il faut lire "Les Jeunes -France" de Gautier, une oeuvre qui, dans l'esprit de l'auteur, devait être une satire des romantiques semblable à celle que Molière avait faite des travers littéraires de son temps dans "Les Précieuses Ridicules". C'est seulement dommage que nous n'ayons là que l'oeuvre d'un jeune homme plein de talent, tandis que "Les Pré- cieuses Ridicules" constituent une oeuvre mûre d'unevaleur durable. "Les Jeunes-France" qui, comme les poésies de Borel et d'O'Neddy, nous fiiit pénétrer dans la vie indépendante de la jeunesse de l'époque, fut écrit par Gautier,- aussitôt qu'il eut été enrôlé dans le camp romantique. Personne n'était mieux fait que lui pour écrire ce livre, car, toute sa vie, il fut le véritable artiste bohème, toujours en guerre avec la société et tout ce qu'elle vénère, et, dans sa jeunesse, il mena une vraie existence de bohème comme peintre et comme poète, journaliste et touriste; plus tard il vécut d'une vie plus calme avec ses soeurs et ses enfants sans cependant jamais penser au mariage.
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De ses liaisons amoureuses, celle qu'il contracta avec Ernest a Grisi, la mère de ses filles Judith et Estelle, fut la plus longue. Il éprouva de même pendant longtemps un ardent amour pour la soeur d'Ernesta, Carlotta, pour laquelle il composa ses ballets. Il fut aussi dévoué comme frère et comme père qu'il fut inconstant en amour; il fit donner à ses filles une éducation soignée et eut la bonne idée de leur faire apprendre les langues étrangères et même le japonais et le chinois. On sait combien Judith Gautier dut lui en être plus tard reconnaissante.
Le livre qui reflète le mieux l'àme de Gautier à cette époque est le roman "Mademoiselle de Maupin" (1836) qui suivit immédiatement "Les Jeune-France". Ici, toute la sève de sa jeunesse pétille et déborde. "Mademoiselle de Maupin" est un roman tout à fait païen et grivois, grivois comme un dialogue de Crébillon fils, mais en même temps vigoureux et inspiré par l'adoration de la beauté, bien que Swinburne exagère quand il le nomme "the golden book of beauty."
Gautier était né frêle et délicat et ne s'était livré dans son enfance qu'à l'exercice de la natation; mais son idéal était de devenir un homme vigoureux, et il admirait les athlètes et les boxeurs pardessus tous les mortels. Il prit pendant plusieurs années des leçons de boxe et de canne, d'équitation et de canotage. Il raconte dans sa notice autobiographique qu'un jour, à l'ouverture du Chàteau- Rouge, il donna sur une tête de Turc toute neuve le coup de poing de cinq cent trente-deux livres devenu historique. "C'est," conclut-il naïvement, "l'acte de ma vie dont je suis le plus fier", et on peut croire que ces paroles sont vraies à la lettre, car, dans sa vieillesse, lorsqu'on le contredisait trop violemment il avait l'habitude de s'écrier: "Moi, je suis fort; j'amène cinq cent trente sur une tête de Turc et je fais des métaphores qui se suivent." Tout est là. Dans "Mademoiselle de Maupin" on sent le jeune dandy capable de donner un formidable coup de poing aussi bien que l'habile artiste dont "les métaphores se
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suivent", c'est-à-dire dont les mots sont des images pour l'oeil. Mais, avant tout, on sent aussi le poète tout à fait antique et plastique qui se distingue de ses contemporains et qui se peint lui-même en un passage de son livre quand il fait parler ainsi son héros : "Je suis un homme des temps homériques; le monde où je vis n'est pas le mien, et je ne comprends rien à la société qui m'entoure. Le Christ n'est pas venu pour moi; je suis aussi païen qu'Alcibiade et Phidias. Je n'ai jamais été cueillir sur le (jolgotha les fleurs de la passion, et le fleuve profond qui coule du flanc du crucifié et fait une ceinture rouge au monde, ne m'a pas baigné de ses flots: mon corps rebelle ne veut point reconnaître la suprématie de l'àme, et ma chair n'entend point qu'on la mortifie. Je trouve la terre aussi belle que le ciel, et je pense que la correction de la forme est la vertu. La spiritualité n'est pas mon fait, j'aime mieux une statue qu'un fantôme et le plein midi que le crépuscule. Trois choses me plaisent: l'or, le marbre et la pourpre, éclat, solidité, couleur. Mes rêves sont faits de cela, et tous les palais que je bâtis à mes chimères sont construits de ces matériaux . . . Jamais ni brouillard, ni vapeur, jamais rien d'incertain et de flottant. Mon ciel n'a pas de nuage, ou, s'il en a, ce sont des nuages solides et taillés au ciseau, faits avec les éclats de marbre tombés de la statue de Jupiter . . . J'aime à toucher du doigt ce que j'ai vu et à poursuivre la rondeur des contours jusque dans ses replis les plus fuyants . . . J'ai toujours été ainsi. J'ai pour les femmes le regard d'un sculpteur et non celui d'un amant. Je me suis toute ma vie inquiété de la forme du flacon, jamais de la qualité du contenu. J'aurais eu la boîte de Pandore entre les mains, je crois que je ne l'eusse pas ouverte."
Gautier est l'un des romantiques français qui se rapprochent le plus des romantiques allemands. Sa Nouvelle "Fortunio" qui glorifie les jouissances de la vie et l'oisiveté est le pendant de la "Lucinde" de Frédéric Schlegel. Il rappelle également les romantiques allemands par son
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dédain de ce que l'on considère ordinairement comme poétique dans la poésie. Il disait un jour à Taine qui exaltait Musset aux dépens de Hugo: "Taine, vous me semblez raisonner comme un philistin. Demander des émotions à la poésie ! Il s'agit bien de cela. Des mots ra3'onnants, des mots de lumière avec un rythme et une musique, voilà ce qu'est la poésie. Elle ne prouve rien, ne raconte rien. Le commencement du " Ratbert" de Hugo par exemple n'a pas son égal, c'est l'Himalaya de la Poésie. Toute l'Italie avec ses blasons s'}^ trouve, et rien que des mots".
Gautier ressemble à Tieck dans sa prédilection pour la poésie de la forme dédaigneuse du fond; mais, en qualité de latin, il se distingue très nettement de lui en ce que son st3de est colorié, chatoyant et que sa poésie est une peinture, pendant que chez Tieck les mots se changent en sons et que la poésie devient un pur état d'âme, une musique (L'amour, dit-il dans un de ses Lieder, pense au moyen de sons parce que les pensées sont trop loin*). Par contre, Gautier partage entièrement la haine des romantiques allemands contre la doctrine de l'art utile. C'est à eux qu'il a emprunté sa théorie de "l'art pour l'art" qu'il défend énergiquement dans la préface de ,, Mademoiselle de Maupin" et qui, envisagée à un certain point de vue, est d'une justesse absolue. Il est vrai en effet et incontestable que Part n'est pas soumis aux règles des convenances qui dominent à bon droit la société, et encore moins à celles qui ne sont que des préjugés surannés, et qu'il n'est jamais plus immoral que ne l'est une statue dans sa nudité. Gautier s'etforça donc constamment d'affranchir l'art des critiques moralisateurs. Dans la préface de " Mademoiselle de Maupin", écrite avec une verve juvénile, il s'élève violemment contre les partisans de l'art utile: "Non, imbéciles, non, crétins et g-oîtreux
*) cf. Brandes: die romaatisclie Schule in Deutscliland. 8e édit 1900 p. 131.
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que vous êtes, un livre ne fait pas de la soupe à la gé- latine; — un roman n'est pas une paire de bottes sans couture; un sonnet, une seringue à jet continu; un drame n'est pas un chemin de fer, toutes choses essentiellement civilisantes, et faisant marcher l'humanité dans la voie du progrès". Il dit des critiques vertueux: " S'il y a quelque nudité dans un tableau ou dans un livre, ils y vont droit comme le porc à la fange, et ne s'inquiètent pas des fleurs épanouies ni des beaux fruits dorés qui pendent de toutes parts". Et, faisant allusion à Tartuffe, il continue : "Dorine, la soubrette effrontée, peut très bien étaler devant moi sa gorge rebondie, certainement je ne tirerai pas mon mouchoir de ma poche pour couvrir ce sein que l'on ne saurait voir. Je regarderai sa gorge comme sa figure, et, si elle l'a blanche et bien formée, j'y prendrai plaisir." Pour se défendre du reproche d'immoralité qu'on ne cesse de lui adresser il écrit: "Une variété extrêmement curieuse du journaliste proprement dit moral, c'est le journaliste à famille féminine . . . D'abord pour se poser en journaliste de cette espèce, il faut quelques petits ustensiles préparatoires, tels que deux ou trois femmes légitimes, quelques mères, le plus de soeurs possible, un assortiment de filles complet et des cousines innombrablement. Ensuite il faut une pièce de théâtre ou un roman quelconque, une plume, de l'encre, du papier et un imprimeur".
Si, dans la pratique, Gautier n'est pas toujours impeccable, sa théorie n'en est pas moins juste. La poésie a sa morale propre qui est l'amour de la vérité et de la beauté; elle est par elle-même une puissance morale, tout comme la science, la ph3^siologie par exemple, et par conséquent n'a pas plus que la science à se préoccuper des bienséances. 11 existe des poètes immoraux comme il existe des médecins immoraux, mais les uns et les autres sont immoraux en tant qu'hommes et non pas en tant qu'artistes ou médecins. Cette vérité, nul n'était plus capable de l'exprimer et de la faire triompher que Gautier,
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Tartiste plastique et pittoresque, qui aurait sacrifié tout son talent en se soumettant aux exigences de la morale. Il possède en effet le don tout particulier de peindre tout le monde physique au moyen de mots. Il est le premier qui ait victorieusement démontré que le "Laocoon" de Lessing est incomplet, car il a réussi à donner une expression à bien des choses que Lessing croyait inexprimables. Il a des mots pour tout, pour la beauté féminine comme pour la physionomie d'une ville, pour le goût d'un mets comme pour le timbre d'une voix. Sainte- Beuve a dit en parlant de lui: "Le mot indicible n'est plus français depuis que ce nouveau maître en fait de vocabulaire a su tout dire". Il avait l'horreur des néologismes commune aux romantiques et aux classiques; mais il a réintroduit dans la langue des mots du XV° et du XVP siècle tombés en désuétude, et il l'a enrichie de nouveaux termes d'art tout à fait caractéristiques. On sait du reste qu'il aimait à feuilleter les dictionnaires français. Il aimait sans doute à représenter la physionomie extérieure des choses, mais pour égaler en ce point son exactitude, il faut, ne l'oublions pas, beaucoup de recueillement intérieur et de gravité artistique. Assurément il ne visait point à attendrir les coeurs sensibles. Mais Goethe lui-même n'écrivait-il pas qu'il n'aspirait qu'à émouvoir la nature et qu'il laissait aux barbouilleurs de papier le soin de faire vibrer les coeurs?
"Le Capitaine Fracasse", un roman que Gautier ébaucha dans sa jeunesse mais qu'il n'acheva que beaucoup plus tard, (1863) nous donne l'idée la plus exacte de sa prose. On y voit, pour ainsi dire, les personnages au naturel avec toute leur physionomie extérieure et dans le décor champêtre ou architectonique qui leur convient.
Les deux premiers chapitres sont intitulés: "Le château de la misère" et "Le chariot de Thespis" et nous peignent une troupe de comédiens ambulants dînant à la lumière de deux grands flambeaux en bois ornés de papier doré, dans le château en ruines d'un jeune et pauvre
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baron du temps de Louis XIII, le baron de Sigognac, Cette peinture rappelle le tableau de Rembrandt. "La noce d'Estber" du musée de Dresde. On y admire les jeux de lumière sur les portraits des ancêtres, pendant que les ombres des comédiens glissent sur les murs. Pas un signe de sentimentalité, mais une mélancolie voilée qui nous fiiit comprendre cet aveu de Gautier à Feydeau: "Voici une peinture exacte de mon état d'âme".
un autre chapitre qui a pour titre: "Effet déneige" décrit la marche nocturne des acteurs à travers une steppe de neige. Tout d'un coup celui qui joue ordinairement le rôle du matamore et qui suivait le chariot à pied, disparaît. Ses camarades le cherchent et l'appellent de toute la force de leurs poumons. Pas de réponse. L'un d'eux porte une lanterne dont le reflet rouge danse sur la neige. Le chien de la troupe l'accompagne en hurlant et tous deux, précédant les autres, projettent leurs grandes ombres noires sur la blancheur de la plaine. Subitement le chien se tait, il se fait un silence de mort car la neige qui tombe amortit les bruits. Enfin Sigognac, qui a la vue perçante, croit voir au pied d'un arbre une forme étrange, muette et immobile. "C'était bien, en effet, le pauvre Matamore. Son dos s'appuyait contre l'arbre et ses longues jambes étendues sur le sol disparaissaient à demi sous l'amoncellement de la neige. Son immense rapière, qu'il ne quittait jamais, faisait avec son buste un angle bizarre et qui eût été risible en toute autre circonstance . . . Inquiété de cette fixité d'attitude, Blazius, l'un des comédiens, dirigea le rayon de la lanterne sur le visage de Matamore, et il faillit la laisser choir, tant ce qu'il vit lui causa d'épouvante.
Le masque ainsi éclairé n'offrait plus les couleurs de la vie. Il était d'un blanc de cire. Le nez pincé aux ailes par les doigts noueux de la mort luisait comme un os de seiche; la peau se tendait sur les tempes. Des flocons de neige s'étaient arrêtés aux sourcils et aux cils, et les yeux dilatés regardaient comme deux yeux de verre.
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A chaque bout des moustaclies scintillait un glaçon dont le poids les faisait courber. Le cachet de l'éternel silence scellait ces lèvres d'où s'étaient envolées tant de joyeuses rodomontades, et la tête de mort sculptée par la maigreur apparaissait déjà à travers ce visage pâle, où l'habitude des grimaces avait creusé des plis horriblement comiques . . .
— Hélas! il est mort, dit Blazius, aussi mort que Chéops sous la grande pyramide. Sans doute, étourdi par le chasse-neige et ne pouvant lutter contre la fureur de la tempête, il se sera arrêté près de cet arbre, et comme il n'avait pas deux onces de chair sur les os, il aura bientôt eu les moelles gelées. Afin de produire de l'effet à Paris, il diminuait chaque jour sa ration et il était efflanqué déjeune plus qu'un lévrier après les chasses. Pauvre Matamore, te voihà désormais à l'abri des nasardes, croquignoles, coups de pieds et de bâton à quoi t'obligeaient tes rôles! Personne ne te rira plus au nez."
Ici le côté pathétique de la situation est rendu sensible par la peinture plastique la plus consciencieuse. On comprend toutefois que l'art de Gautier n'admit guère la sensibilité et que celle-ci ne trouvât guère de place dans des descriptions qui, si parfaites qu'elles fussent en leur genre, étaient de plus en plus inanimées.
Gautier avait la passion des voyages. Il visita l'Espagne en 1840, l'Afrique en 184f) à la suite du duc d'Aumale, l'Italie en 1850, Constantinople en 1852 et l'année suivante la Kussie jusqu'à Nijni- Nowgorod. Il a décrit tous ces voyages, souvent longtemps après son retour, et pourtant avec une exactitude merveilleuse, grâce à sa mémoire étonnante de la physionomie des choses. Le lecteur toutefois se trouve déçu, parce que dans ces descriptions si minutieuses il n'est point question des habitants. Madame de Girardin dit un jour à l'auteur à propos de son "Tra los montes": "Mais, Théo, il n'y a donc pas d'Espagnols en Espagne?" On peut adresser cette critique à toutes ses descriptions de voyage. Gautier perdit peu à peu de vue l'homme intime, et même, à la fin, l'homme extérieur
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disparaît pour lui derrière le costume. Dans ses conversations avec son gendre Bergerat je relève ces réflexions singulières et caractéristiques: "Un tigre royal est plus beau qu'un homme; mais, si l'homme se fait un beau vêtement d'une peau de tigre, il devient plus beau que le ligre. De même dans une ville, il n'y a que les éiifices et les monuments qui m'intéressent, car ils ne sont que le produit du génie de la population. Qu'aije à m"inquiéter de cette population qui peut être composée de porcs et de criminels, pourvu qu'on ne m'assomme pas quand je contemple les édifices." La pure adoration de l'art et de la beauté est ici poussée à l'extrême. Le côté humain, moral et moderne, la vie elle-même finit par perdre tout intérêt pour l'artiste qu'était Gautier; c'est pourquoi plus tard il ne vit plus dans l'art dramatique que le style, le costume et les décors. Il avait coutume de dire qu'un poète dramatique n'a besoin que de quatre arlequins placés dans des situations difïérentes pour leur faire dire tout ce qu'il a à dire. Car il ne s'agissait pour lui que de donner "une impression de la vie et non de reproduire la vie elle-même. "La vie est par trop laide" ajoutait-il. Il fit ainsi vers la fin de sa vie sa propre critique et montra à tous, excepté à ses aveugles admirateurs, les limites de son art. Il montra, dis-je, le côté faible de sa théorie de "l'art pour l'art" ; car l'art qui va chercher son sujet en dehors de lui finit nécessairement par être vide et stérile. La pure adoration de l'art produit une Galatée de marbre; c'est le courant d'idées d'un siècle qui seul peut animer la pierre.
L'oeuvre d'affranchissement de l'art à laquelle se consacra résolument Gautier fut cependant une oeuvre bonne et utile. Si elle ne fut pas parfaite, elle suffit à occuper l'existence d'un homme. Pourtant, Gautier ne fut pas, de son vivant, apprécié à sa juste valeur: les artistes seulement reconnurent son mérite, mais les hommes de lettres et, à plus forte raison, la grande masse des lecteurs ne le comprirent pas. Combien de fois n'ai-je pas entendu
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raconter en France cette histoire absurde que Gautier n'a fait que compiler des vocabulaires sans se soucier d'autre chose que du son et de la forme des mots.
L'impopularité de Gautier s'explique jusqu'cà un certain degré par ce fait que, chez lui, le feuilletoniste l'emporta sur le poète. Après avoir dit à la presse de si dures vérités, il était entré à son service en 1836 pour y gagner sa vie et, jusqu'à sa mort, c'est-à-dire pendant trente-six ans, il lui était resté fidèle. Il y révéla une fécondité prodigieuse : comme critique d'art et de théâtre il fournit de véritables travaux d'Hercule. D'après sa propre évaluation et celle de Bergerat qui s'accorde avec la sienne mais qui est vraisemblablement exagérée, tous ses articles recueillis rempliraient trois cents volumes. Il écrivit d'abord pendant dix-neuf ans (de 1837 à 1855) dans "La Presse" de Girardin, et plus tard sous l'Empire, il écrivit la plupart du temps dans "Le Moniteur officiel." Ses articles dramatiques qu'il ne composa qu'à contre-coeur n'ont de la valeur (mais une grande valeur) qu'au point de vue du style. Comme critique d'art, Gautier se borna toujours de plus en plus à la description de tableaux, mais il y déploya un talent admirable*). La fatigue, le souci de ne point se créer d'ennemis, un sentiment de pitié pour les débutants et pour les artistes sans talent, enfin une extrême bienveillance et une non moindre indifférence le rendirent toujours plus indulgent. Il finit même par tout louer avec une égale impassibilité et un style également pittoresque. La plupart des lecteurs ne le connurent que comme critique d'art et feuilletoniste. Mais il ne faut pas oublier que, sans faire grand tapage, il exerça pourtant une influence énorme sur les poètes et les écrivains. C'est à lui que
*) cf Sainte-Beuve: "La description de Théophile Gautier, en présence des tableaux qu'il nous fait voir et c|u'il nous dispense presque d'aller reconnaître, a cela de particulier qu'elle est exclusivement pittoresque, et qu'elle ne se complique pas, tant qu'elle dure, de remarques critiques et de jugements."
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se rattachent en droite ligne ce merveilleux prosateur qu'est Paul de Saint- Victor, le moins sentimental des poètes modernes Leconte de Lisle, le poète lyrique "satanique" Baudelaire et enfin tout le groupe des jeunes poètes qui formèrent sous l'Empire "les Parnassiens". Saint-Victor hérita de Gautier le sens de la couleur et de la forme,, l'amour de l'art plastique, Leconte de Lisle, le calme oriental et le don de comprendre les peuples étrangers, Baudelaire, sa prédilection pour les sentiments dépravés et les Parnassiens, sa versification incomparable.
Mais, bien que son influence s'étende bien au-delà de l'année 1830 et qu'elle se fasse encore sentir après sa mort, son nom est pourtant lié plus qu'aucun autre aux premières luttes du romantisme. C'est un trait caractéristique et touchant que, dans son dernier article resté inachevé, il peignit le public qui assista à la première représentation d',,Hernani"'.
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